mercredi 4 avril 2012

Un artiste à réévaluer : Carolus-Duran

Charles Emile Auguste Durand dit Carolus-Duran est né à Lille en 1837. Il est souvent qualifié de peintre mondain, mais une exposition qui s'est tenue au Musée des Beaux-Arts de Lille en 2003 a montré à quel point, l'artiste avait été sensible à l'Impressionnisme dont un grand nombre de représentants étaient des amis.
Il commence ses études aux Beaux-Arts de Lille puis descend à Paris en 1853. C'est alors qu'il prend le pseudonyme de Carolus-Duran. Il suit les cours à l'Académie de Charles Suisse. Il devient ami avec Manet et Fantin-Latour et expose pour la première fois en 1859.


Portrait de Jules Barbey d'Aurevilly
Huile sur panneau, 1860.


Ce portrait du Connétable des Lettres (1808-1889) est un des premiers que l'on conserve de Carolus-Duran.



Le convalescent. Huile sur toile, 1861.


Grâce à une bourse octroyée par la ville de Lille, il visite l'Italie et l'Espagne entre 1862 et 1866. Il est ébloui par l'art de Diego Velasquez dont il subira l'influence tout au long de sa carrière, notamment dans l'utilisation des noirs. En 1866, il expose au Salon et reçoit une médaille d'or.


Le Baiser. Huile sur toile, 1868.


Il épouse Pauline Croizette qu'il représente dans son tableau La Dame au gant en 1869. C'est ce tableau qui fait sa célébrité au Salon par sa sobre élégance et la lumière contrastée qui rappellent Manet.


La Dame au gant. Huile sur toile, 1869.




Pendant la même année, le peintre exécute toute une série de vues de la Côte d'Opale qui sont d'une qualité aussi grande que les paysages de ses amis Impressionnistes.


La plage d'Ambleteuse. Huile sur toile, 1869.



Marée basse, Audresselle. Huile sur toile, 1869.


Plage à Audresselle. Huile sur toile, 1869.


A partir de 1870, il devient un des portraitistes les plus célèbres de la Troisième République.


Portrait de Hector Hanoteau. Huile sur toile, 1870.


Hector Hanoteau (1823-1890) est un peintre orientaliste. Il aura aussi une carrière politique locale et fera beaucoup pour le développement des arts dans la région de Nevers.
Le portrait qu'en a fait Carolus-Duran est magnifique de présence notamment par l'intensité du regard.




Portrait de Mme Ernest Feydeau. Huile sur toile, vers 1870.


Né Léocadie Bogaslawa Zelewska, elle était l'épouse d'Ernest Feydeau (1821-1873), courtier en bourse et écrivain, et considérée comme une des plus belle femme de Paris. Elle était la mère de l'écrivain Georges Feydeau.




L'enfant à la cravate bleu. Huile sur toile, 1870.


Ce charmant garçon est George Feydeau (1862-1921) à l'âge de 8 ans, alors que ses caprices et son mauvais caractère empoisonnait l'atmosphère familiale. Selon ses dires, son père officiel, Ernest Feydeau aurait été un mari consentant et lui-même aurait été un fils de Napoléon III. On pense aujourd'hui  que plutôt que Napoléon III, ce serait le Duc de Morny (1811-1865), frère utérin de l'Empereur, qui serait le vrai père de Georges Feydeau. La famille Feydeau et celle du peintre était très liée et Georges Feydeau épousa Marie-Anne, une des filles de Carolus-Duran.




Portrait equestre de Mlle Sophie Croizette
Huile sur toile, 1873.


Sophie Alexandrine Croizette est née à St-Petersbourg en 1847 d'une mère ballerine française et d'un père aristocrate russe. Elle fut comédienne et joua au théâtre français. Elle était la belle-sœur de Carolus-Duran. Après une tentative de suicide ratée liée à une déception sentimentale, elle eut une liaison avec le banquier Jacques Stern qui s'acheva par un mariage. Elle meurt en 1901, un an après son mari.



Portrait de Nadejda Polotsova. Huile sur toile, 1876.


Propriétaire d'un district minier de l'Oural, La ville de Serov porta le nom de Nadejdinsk en son honneur lorsqu'elle fut fondée en 1896 après l'ouverture d'une usine sidérurgique.




Compte-tenu de sa célébrité, Carolus-Duran ouvre une académie à Montparnasse où de nombreux peintres dont l'américain John Singer Sargent (1856-1925), viennent suivre ses cours. Sargent gardera toujours une très grande considération pour Carolus-Duran dont il peignit un superbe portrait.


John Singer Sargent. Portrait de Carolus-Duran
Huile sur toile, 1879.



Photographie de Carolus-Duran. Vers 1880.




Paul Helleu (1859-1927) et Maximilien Luce (1858-1941) suivent aussi les cours du peintre. Les cours sont gratuits avec une participation pour le chauffage et le paiement des modèles.

Carolus-Duran. Un modèle. Huile sur toile.



Son enseignement s'oppose à l'académisme par son refus de faire un dessin préparatoire très précis. Une simple esquisse suffit avant de construire la toile par la peinture même. Carolus-Duran prête une grande attention à faire ressortir la psychologie du modèle à l'opposée de son contemporain Boldini.


Portrait de Mlle de Lancey. Huile sur toile, 1876.


Née Alice Tahl à Baltimore en 1851, elle arrive à Paris vers 1875. Elle prend le nom de Alice Tahl de Lancey et devient la maîtresse du banquier d'origine turque Nissim de Camondo (1830-1889). Grand collectionneur passionné par la période Louis XV, comme tous les Camondo, il lui achète une partie de l'ancien domaine de Mme du Barry à Louveciennes comprenant les pavillons d'entrée et surtout le pavillon de musique construit pour la Comtesse par Claude-Nicolas Ledoux en 1770. Edmond de Goncourt, mauvaise langue et antisémite forcené, s'est beaucoup moqué de Alice de Lancey en Mme du Barry et de Nissim de Camondo jouant le rôle de Louis XV.


Pavillon d'entrée du domaine de Mme du 
Barry, Louveciennes.




Claude-Nicolas Ledoux. Pavillon de musique, Louveciennes.





Le tableau de Carolus-Duran a été exposé au Salon de 1877. On pense parfois que la pose alanguie de Mlle de Lancey est celle d'une demi-mondaine. En réalité, le peintre reprend le style des tableaux galants du XVIIIème comme ceux de Boucher ou de Nattier.



François Boucher. Madame de Pompadour
Huile sur toile, 1756.


François Boucher. Madame de Pompadour
Huile sur toile, 1758.


Jean-Marc Nattier. Marie-Adélaide de France en 
Diane. Huile sur toile.


Carolus-Duran a parfois été violemment critiqué par ses contemporains. Eugène Fromentin (1820-1876) écrivait par exemple, en 1876, à propos du Portrait de Sarah Bernhardt par Clairin et du Portrait de la Marquise Anforti par Carolus-Duran, qu'ils sont indiscrets, violemment enluminés et qu'ils visent trop à l'effet.

Portrait de Mlle X, Marquise Anforti. Huile sur toile, 1876.


Emile Zola n'a pas été plus tendre : Seulement Carolus-Duran est un adroit ; il rend Manet compréhensible au bourgeois, il s'en inspire seulement jusqu'à des limites connues, en l'assaisonnant au goût du public. Ajoutez que c'est un technicien fort habile, sachant plaire à la majorité.
Le Portrait du peintre Jules Denneulin montre que Zola avait tout de même, une vision assez limité de l'œuvre de Carolus-Duran.


Portrait de Jules Denneulin. Huile sur toile.


Jules Denneulin (1835-1904) est un peintre lillois oublié aujourd'hui qui fût connu en son temps pour ses scènes de genre. Il exposa souvent aux Salons.

Jules Denneulin. La Procession interrompu
Huile sur toile, 1890.


Jules Denneulin. Fin de règne. Huile sur toile.



Il aurait été étonnant que le Comte de Montesquiou échappa au pinceau de Carolus-Duran. Le peintre l'a portraituré dans le rôle de Zanetto, un troubadour de la Renaissance Italienne, de la pièce de François Coppée (1842-1908), Le Passant (1869). Cette pièce, en vers, fût un succès à sa création avec la Grande Sarah dans le rôle joué par Montesquiou. La postérité a été charitable en oubliant les vers doucereux et sentimentaux du nationaliste et antidreyfusard Coppée, vers qui faisaient déjà bondir Rimbaud ou Verlaine.


Le Comte de Montesquiou dans Le Passant
Huile sur toile, 1880.




La même année, il peint deux portraits d'Edouard Manet, un de ses grand amis, le premier étant plutôt une esquisse à l'aquarelle. Ce portrait montre bien les qualités de spontanéité de Carolus-Duran et met en grande partie hors-jeu les critiques de Zola. N'oublions pas que, membre du conseil qui organise le Salon en 1881, il vote avec Jean-Jacques Henner (1829-1905) pour la remise d'une médaille à Manet.


Portrait d'Edouard Manet. Aquarelle, 1880.



Portrait d'Edouard Manet. Huile sur toile, 1880.



Un portrait de Carolus-Duran semble être celui du peintre Berthe Morisot (1841-1895), la belle-sœur de Manet. Cependant le sujet est discuté.


Portrait présumé de Berthe Morisot. Huile sur toile.




En 1886, il réalise le portrait vibrant d'intelligence de Nadar. De son vrai nom, Felix Gaspard Tournachon (1820-1910), aéronaute et caricaturiste, est surtout connu pour les centaines de précieux clichés qu'il a pris des célébrités de l'époque.


Portrait de Nadar. Huile sur toile, 1886.




En 1887, Carolus-Duran présente un de ses plus beau portrait, celui d'Anna Obolenskaya avec sa magnifique robe de velours rouge.


Portrait d'Anna Obolenskaya. Huile sur toile, 1887.




Entre 1889 et 1900, il participe au jury des Expositions Universelles et en 1890, il est un des fondateurs de la Société nationale des Beaux-Arts avec Puvis de Chavannes. C'est sans doute vers 1890 qu'il peint l'attentive Lectrice.

La Lectrice. Huile sur toile.




Carolus-Duran était un grand ami du compositeur Charles Gounod (1818-1893), qui lui donne le manuscrit de son oratorio St-François d'Assise qu'il venait d'achever, lorsque le peintre exécute en 1891, le portrait du compositeur.


Portrait de Charles Gounod. Huile sur toile, 1891.




Un autre très beau portrait en pied est celui d'Emily Warren Roebling. Emily Warren Roebling (1843-1903) était l'épouse de Washington Roebling (1836-1927) qui fut l'ingénieur en chef du chantier de la construction du Pont de Brooklyn et fils de John Augustus Roebling, le concepteur de ce qui fut le plus long pont suspendu au monde entre 1883 et 1903. Son mari ayant subi un accident de décompression sur le chantier, elle le soutint et sous sa direction réalisa les calculs concernant la position et la portance des caténaires entre 1870 et 1880. 


John Augustus Roebling. Plan d'une pile du 
Pont de Brooklyn. Encre et aquarelle, 1867.




Elle s'est aussi occupée de sociétés philanthropique et a aussi été diplômée en droit de l'Université de New-York.


Portrait de Emily Warren Roebling. Huile sur toile, 1896.




C'est sans doute de la même époque que date le portrait qu'a fait de lui Jean-Jacques Henner, de profil et un peu vieilli par rapport au tableau de Sargent.


Jean-Jacques Henner. Portrait de Carolus-Duran
Huile sur toile.




En 1897, Carolus-Duran fait le portrait d'une des grandes figures de la haute société américaine, Miss William Astor.
Née Caroline Webster Schermerhorn en 1830 à New-York, elle est fille d'armateur et fait partie des quelques familles de fondateur des Etats-Unis, véritable aristocratie du nouveau monde. Elle se marie avec William Backhouse Astor Jr. en 1854. 
Son mari fait construire une somptueuse maison dans la 5ème avenue, lieu le plus huppé de la ville, actuellement occupé par l'Empire State Building.


Photographie de la 5ème Avenue vers 1900.


Elle règne alors en maîtresse sur la Socialite (social elite en abrégé) et être invité par Mrs William Astor est un honneur. D'un caractère hautain, elle est agit en véritable dictateur de la haute société new-yorkaise.

Photographie de Caroline Astor en 1875.



Elle refusa longtemps de recevoir les Vanderbilt, les considérant comme des nouveaux riches et ce fut contrainte et forcée qu'elle finit par les inviter à ses bals. Carolus-Duran fait très bien ressortir la morgue de celle qui se mettait devant tout le monde lorsqu'elle recevait.

Portrait de Mrs William Astor. Huile sur toile, 1897.




C'est son neveu, William Aldorf Astor qui a créé le fameux hôtel Waldorf Astoria. Mrs William Astor mourut en 1908. Quatre ans plus tard, son fils John Jacob Astor IV (1864-1912) mourait dans le naufrage du Titanic, sur le pont, en smoking et fumant une cigarette.
La même année que le portrait de Mrs Astor, Carolus-Duran peint le portrait de sa fille, devenue Mme Feydeau depuis 1889. 

Portrait de Mme Georges Feydeau et ses enfants
Huile sur toile, 1897.


Malgré la naissance de 4 enfants, le mariage ne fut pas heureux. Georges Feydeau, dépressif chronique, joueur, cocaïnomane, trompe sa femme aussi bien avec des hommes qu'avec des femmes. C'est cette vie agitée qui inspirera la majorité de ses pièces. Mme Feydeau a aussi des aventures extraconjugales. Carolus-Duran nous laisse un très beau portrait de son gendre au regard mélancolique.

Portrait de Georges Feydeau. Huile sur toile. Vers 1895.


Après une dispute très violente, le couple se sépare en 1909 et divorce en 1916. A la fin de sa vie, Georges Feydeau est interné pour des troubles psychiatriques pendant deux ans, sans doute dus à une syphilis terminale. Il meurt en 1921 à 58 ans.
En 1898, Carolus-Duran devient Président de la Société Nationale des Beaux-Arts. Il est élu en 1904 à l'Académie des Beaux-Arts. Durant ces années 1900, le peintre se consacre à des grandes figures décoratives visiblement inspirées par des artistes plus jeunes comme Alfons Mucha.

Danaé. Huile sur toile, 1900.


Hébé. Huile sur toile, 1900.


En 1905, il est nommé directeur de l'Académie de France à Rome (Villa Medicis) poste qu'il occupe jusqu'en 1913. En 1914, alors qu'il a 77 ans, il peint le portrait de Charles Gruet (1844-1928) député de la Gironde de 1893 à 1898 et négociant en vins.

Portrait de Charles Gruet. Huile sur toile, 1914.


Carolus-Duran avait une villa à Fréjus où il a passé beaucoup de temps. Il meurt en 1917 à l'âge de 80 ans.

1 commentaire:

  1. Portraits splendides !! en particulier Mme Feydeau. Visible Musée Orsay.

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